Thursday, June 01, 2006

Une Lettre de Nathalie



Maple Ridge, le 1er juin 2006
Cher Francis,
Cela fait maintenant une semaine que j’ai été transférée du zoo au safari
. Je suis toujours en cage mais j’ai un peu plus d’espace pour me retourner. J’avoue qu’après avoir passé six semaines dans l’enfer du centre correctionnel de Surrey, j’ai eu quelques difficultés à m’habituer à mon nouvel environnement.

J’avais l’impression d’être un animal tapi dans ma cellule les premiers jours : il m’était difficile d’occuper l’espace autour de moi et d’organiser ma journée. Mon espace ayant été restreint pendant six semaines et le rythme quotidien ayant été scandé par les enfermements répétés en cellule, j’avoue que je n’avais même plus le goût de sortir dehors.

Les premiers jours, j’avais l’impression d’être une somnambule marchant sans pouvoir traiter l’information autour de moi. Petit à petit, les sensations reviennent, les réflexes de survie se remettent en place. Je comprends mieux maintenant la peur de prisonnières avant leur sortie de prison. Il leur faut réapprendre à fonctionner dans la société et ce et ce n’est pas évident quand toutes les libertés nous ont été enlevées et quand nos droits les plus élémentaires sont bafoués.

Je m’habitue donc petit à petit à mon espace mais les imprévus sont une constance dans cet environnement. Quand je pense avoir compris certaines choses, d’autres évènements surviennent et remettent en cause la grille d’interprétation que j’essaie de mettre en place.

Par exemple, hier, après avoir téléphoné à l’avocate que je n’arrivais pas à joindre depuis deux jours, je suis arrivée à 5h07 à la cuisine pour le dîner du soir. Apparemment les portes de la cafétéria ont été ouvertes plus tôt (d’habitude on mange à 17h) et à l’heure où je suis arrivée la plupart des femmes avaient fini de manger. Résultat : la garde à la porte d’entrée m’a refusé l’entrée à la cafétéria et je n’ai pus avoir à manger. Je lui ai expliqué que j’étais enceinte, rien à faire.

Aujourd’hui, midi, nous avions des hamburgers. Je n’ai pu manger que la moitié du mien car si je mange trop à la fois, j’ai des remontées gastriques étant donné que le bébé est assez haut. Je suis donc sortie de la cantine avec la moitié de mon hamburger. Peine perdue : la garde de sortie m’a demandé de mettre mon hamburger à la poubelle car je n’avais pas le droit de sortir avec une partie de mon repas. Je lui ai expliqué pourquoi (enceinte, remontées gastriques). J’t’en fou, elle m’a dit de faire une demande aux services santé pour que je puisse amener une partie de mon repas à l’appartement. J’ai donc dû mettre la moitié de mon burger à la poubelle.
Voilà, les gardes ont tout pouvoir, les règles ne sont inscrites nulle part et donc chacune s’amuse de nous. Réjouissant !

J’ai vu le consul et Cécile Walk lundi dernier. Ils étaient surpris d’apprendre que j’avais été transférée. J’ai pu leur expliquer que la première surprise était moi-même quand le mardi j’ai demandé à quelle heure l’audience avait lieu le lendemain et que j’ai appris mon transfert à 9 heures du soir. J’avais très peur d’être transférée pour ne pas que je sois à l’audience (manigances courantes qui m’ont été rapportées par différentes prisonnières). J’ai appris le mercredi par l’avocate que l’audience avait été annulée.

J’ai aussi appris par une garde que mon transfert n’a été approuvé qu’a la dernière minute. Apparemment, version officielle, la direction de la prison ne voulait pas m’envoyer au centre Alouette parce que mon dossier est médiatisé. Dans ces cas-là, les prisonniers sont isolés (souvent au trou) de manière à ce qu’aucune information ne circule. Cela confirme donc que la direction a essayé de réduire au minimum mes communications vers l’extérieur.

Par rapport à l’incident du 8 mai, quand toutes les personnes de notre appartement ont été enfermées ; en résumé, j’avais le choix entre des violences physiques que j’aurais subies si je déménageais dans un autre appartement et les violences de l’institution. Comme j’ai « choisi » de rester dans ma cellule d’origine, j’ai dû être enfermée. Point final … Je pense que la bonne « réponse » aurait été de me laisser la liberté de sortir de ma cellule et d’expliquer aux autres filles que je n’avais rien à faire avec l’histoire de harcèlement.

J’ai pu finalement voir le médecin cette semaine. Résultat des courses, en 8 semaines j’ai pris un kilo. J’ai des contractions régulièrement et je suis très fatiguée. Le docteur m’a donc ordonné de me reposer et de rester allongée toutes les après-midi. Je ne vais donc pas travailler mais surtout je ne peux pus aller en cours de justice car je ne supporterai plus les voyages. Comme le procès doit durer une dizaine de jours il va falloir attendre la naissance du bébé pour le procès.

J’ai aussi une infection urinaire. J’attends la confirmation du labo mais à ce jour je n’ai pas de médicaments et je suis vraiment épuisée. Aujourd’hui, je pleurais comme une madeleine sans raison simplement de sur-fatigue. Je n’arrive pas à récupérer et je m’affaiblis donc de jour en jours.

Si je n’avais pas été enceinte, je pense que j’aurais passé tous les jours avant mon procès au trou. C’est du harcèlement et de la torture, je ne vois pas d’autres mots.

Ces techniques pour faire « craquer » les prisonniers sont des procédures communes en Colombie Britannique, province par excellence du Far West (Opposé de Phare-Ouest). J’ai eu connaissance de manière détaillée de ces techniques par une prisonnière et en racontant son histoire, tu auras une idée jusqu’où les choses peuvent aller.
Cette femme a un oncle qu’elle apprécie beaucoup. Régulièrement, elle va pêcher avec lui et elle est invitée à manger chez lui et sa tante. Cet oncle possède une double vie et est impliqué dans le trafique de drogues. Il y a de ça quelques mois, la police canadienne a son bateau qui transportait 2 tonnes de drogue.

Son oncle a pu se défendre et faire annuler le procès sur un détail technique. Depuis, la police est sur les dents pour essayer de le reprendre en flagrant délit de trafique. Sachant que cette prisonnière apprécie son oncle, la police s’est employée à torturer cette prisonnière pour qu’elle leur transmette des informations qu’elle ignore et pour faire craquer son oncle.
Tout d’abord, la police l’a arrêtée de nombreuses fois en plein milieu de la nuit chez elle alors qu’elle vit seule avec sa fille qui a maintenant 14 ans. La police la mettait en garde à vue pendant quelques heures et la relâchait car il n’avait pas de mandat d’arrêt.
Ensuite, la police est allée voir son patron lui disant qu’il devait renvoyer cette femme parce qu’elle était impliquée dans un trafique de drogue. La police a raconté que s’il ne la mettait pas à la porte, lui-même (le patron) serait soupçonné de trafique de drogue. Il l’a donc renvoyé mais, apparemment, il pleurait.
Plus tard, la police a commencé à suivre tous les déplacements de cette jeune femme. Elle croyait qu’elle devenait folle. Sa meilleure amie a aussi été suivie par la police. Finalement, la police arrêtée cette jeune femme avec un mandat d’arrêt et 30 accusations auxquelles elle devait répondre.

Au même moment, sa voiture a été confisquée pour voir si elle contenait de la drogue. La couronne lui a refusé de pouvoir sortir de prison avant son procès et sa fille a été placée sous la « protection » des services sociaux. Pendant son incarcération dans les cellules de garde à vue, la police est venue régulièrement lui offrir de l’argent si elle voulait parler des activités de son oncle, ce qu’elle a refusé ignorant sa double vie.
En cellule, les gardes ont refusé de la nourrir. Ils ont aussi refusé de lui donner une couverture et un matelas pour les nuits. Régulièrement, elle a demandé du papier toilette pour aller aux W.C. Ceci lui a été refusé aussi. Elle est restée plusieurs mois en prison en attendant que la couronne pose une date pour le procès. A court d’argent, elle a perdu sa maison. A 38 ans, elle n’a plus rien !
Finalement, elle a craqué et elle a décidé de plaider coupable pour 4 des 30 accusations bien qu’elle soit innocente pour toutes les accusations. Son raisonnement : il faut absolument qu’elle récupère sa fille qui ne va pas bien. En plaidant coupable, elle n’a pas besoin d’attendre le procès et la peine qu’elle encoure sera plus courte que son attente.
Elle a été condamnée à 7 mois de prison mais elle peut sortir dans quatre mois. Pour cela, elle doit suivre des programmes pour les drogués (bien qu’elle n’en soit pas une). On pourrait croire que c’est une mauvaise farce, mais c’est la réalité. Le pire c’est qu’elle sait qu’en sortant elle sera de nouveau torturée et harcelée jusqu'à ce qu’elle parle.

C’est à en être malade. Donc comme tu vois, je ne suis pas la première victime du terrorisme « légal » de la justice britanno-colombienne.

Mon système immunitaire est à bout et je redoute le pire. En effet, j’ai appris dimanche dernier qu’il y a une épidémie d’une infection de la peau appelée MRSA. Cette infection est très contagieuse et même les anti-biotiques les plus violents ne fonctionnent pas toujours. J’ai appris l’origine de l’épidémie par hasard lorsque le service santé m’a appelée pour faire un test sur ma peau et m’a demandée de donner un échantillon de ma salive.

J’ai refusé ces deux tests car la procédure paraissait louche. En fait, c’était une étudiante en médecine qui faisait des recherches et qui avait « oublié » de dire aux prisonnières que ces deux tests étaient facultatifs.

J’étais vraiment en colère d’apprendre que cette étudiante pouvait récolter des informations sur l’ADN des prisonnières sans leur accord. De nouveau, j’ai risqué le trou car les instructions venaient des gardes de la prison. Ceci confirme que le système de détention est complice des chercheurs qui prennent les prisonnières pour des rats.

Voilà, les affaires continuent et je survis. Je sais que tu te bas comme un diable, que beaucoup de personnes te suivent. C’est vraiment encourageant. Fais plein de bisous aux enfants et plein de tendresse à Jean-Philippe.
Je t’aime très fort

Nathalie.

Letter from Nathalie from Prison



Maple Ridge, June 1, 2006

Dear Francis,

It has been one week now since I was transferred from zoo to safari. I am still in a cage, but I now have a little more space to move around. I must admit that, after having spent six weeks in the horrible correctional center in Surrey, I had some difficulty adjusting to my new environment.

During the first few days, I felt like an animal crouching in my cell: it was difficult for me to occupy the space around me and to organize my day. Since my space had been so limited for six weeks, and the daily routine disturbed by repeated confinements in my cell, I must admit I didn’t even feel like going outside anymore.
I felt like I was sleep-walking without being able to process the information coming to me. Little by little, sensations return, survival instinct comes back. I now understand the fear of leaving the prison that inmates often experience. They must learn again to function in society; this is very difficult when all liberties have been taken away and when our most basic rights are scorned.

So, I am becoming accustomed, little by little, to my space. However, unexpected events occur constantly. When I think I have learned something, other events occur and disturb the perception frame I am trying to establish.

As an example, yesterday, after having called my lawyer whom I had not been able to reach in two days, I arrived in the kitchen at 5:07 PM for dinner. Apparently, the cafeteria doors were opened early (we usually eat at 5:00) and when I arrived, most women had finished eating. As a result, the guard at the door refused to let me in and I did not eat dinner. I explained that I am pregnant and need to eat, but to no avail.

Today, we had hamburgers for lunch. I could only eat half of mine, because I have gastric reflux if I eat too much at a time, since the baby is high. Therefore, I left the cafeteria with half of my hamburger. No chance: the guard made me throw it in the trash since we are not allowed to leave with food. I explained the reason why I needed to keep it, but she said I needed to make a request to the health services to be allowed to take food into my cell. So, I had to throw my half hamburger into the trash.

Guards have total power, rules are not written anywhere, and therefore they are free to do whatever they want. Pretty bad.

I saw the Consul and Cecile Walk last Monday. They were surprised to learn that I had been transferred. I was able to explain that I was the first to be surprised: on Tuesday, I asked the scheduled time of the hearing for the next day, and I learned at 9:00 pm that I would be transferred. I was worried that they would transfer me so that I would not be able to attend my hearing (this is common practice, according to several inmates. On Wednesday, I learned from the lawyer that the hearing had been cancelled.I also learned from a guard that my transfer was only approved at the last minute. The official version is that the prison management did not want to send me to the Alouette center because my case is being covered in the media. In these instances, inmates are isolated (often in solitary confinement) to prevent information from being spread. This confirms the fact that the management tried to reduce my communication with the outside to a minimum.

Regarding the incident on May 8th, when all the people in our section were confined; in short, I had the choice between physical violence suffered if I had moved to a different section and the violence from the institution. Since I “elected” to remain in my original cell, I had to be confined. I think the right “answer” would have been to allow me to come out of my cell and to explain to the other inmates that I had nothing to do with the harassment claim.
I finally got to see the doctor this week. In 8 weeks, I gained one kilo. I have contractions periodically and I feel very tired. The doctor told me to rest and to lie down every afternoon. Therefore, I do not go to work, but, which is worse, I cannot go to court because I will not be able to tolerate the trips. Since the trial should last about 10 days, I will have to wait until the baby is born before going to trial.

I also have a urinary infection. I am waiting for confirmation from the lab, but to this day I have not received any medication, and I am exhausted. Today, I was crying continuously for no apparent reason, just from exhaustion. I can’t recover and am becoming weaker every day.
If I had not been pregnant, I believe I would have spent all the days until my trial in solitary confinement. This is harassment and torture; I don’t know any other word to define it.
These techniques to break down prisoners are common in British Columbia, the typical “Far West” province. I learned a detailed example of these practices from an inmate and when I tell her story, you will have an idea of how far abuse can go.

This woman has an uncle whom she likes very much. She used to go fishing with him and would eat with him and her aunt. The uncle leads a double life and is a drug dealer. A few months ago, Canadian police seized his boat with 2 tons of drugs.

The uncle was able to defend himself and have the lawsuit dropped because of a technical detail. Since then, the police are trying to catch him again. Since they know that this lady likes her uncle, they began to harass her to obtain information – which she does not have – and to catch her uncle.

First, police arrested her several times in the middle of the night. She lives alone with her 14-year old daughter. Police would keep her in custody for a few hours and release her, since there was no warrant.

Then, police went to see her boss and told him that he should fire her because she was involved in drug traffic. They told him that if he didn’t fire her, he would be suspected of complicity to drug traffic. Therefore, he fired her, but she says he was crying.
Later, police began to follow this lady everywhere. She thought she was going crazy. Her best friend was also followed by police. Finally, police arrested the lady with a warrant citing 30 indictments.

At the same time, her car was confiscated and searched for drugs. The crown refused to release her from prison before her trial and her daughter was placed under the “protection” of social services. During her incarceration in custody cells, police came regularly to offer her money if she would talk about her uncle’s activities. She refused, since she knew nothing of his illegal activities.

In the cell, guards refused to feed her. They also refused to give her a blanket and a mattress. She did not have toilet paper. She remained in prison for several months, waiting for the Crown to schedule the trial. She was financially ruined and lost her house. At 38, she has nothing left.
Finally, she broke down and decided to plead guilty for 4 of the 30 indictments, even though she is innocent on all counts. Her reasoning is that she must get her daughter back because her daughter is not well. By pleading guilty, she does not have to wait for the trial and the sentence may be shorter than the waiting time.

She was sentenced to 7 months but will be released in 4 months. She is required to attend drug rehab programs even though she has never taken drugs. You could think this is a bad joke, but it is reality. The worse is that she knows that when she gets out, she will be again tortured and harassed until she talks.

It makes me sick. As you can see, I am not the first victim of the “legal” terrorism in the British Columbian justice system.

My immune system is weak and I am scared. In fact, I learned last Sunday that there a skin infection epidemic called MRSA. This infection is very contagious and even the strongest antibiotics can’t always cure it. I learned of this epidemic by accident when the health services called me to perform a test on my skin and asked me to give a saliva sample.I refused both tests because it looked suspicious. Actually, a medical student was doing research and had “forgotten” to tell inmates that these tests were optional.I was really angry to learn that this student could collect DNA samples from inmates without their authorization. Again, I risked solitary confinement because the instructions came from the prison guards. This confirms that the prison system is an accomplice to researchers who use inmates as lab rats.

Here you are. Life goes on and I am surviving. I know you are fighting as hard as you can, and I know that many people are helping. This is encouraging. Please give the children lots of kisses for me and give my love to Jean-Philippe.

I love you very much,Nathalie